La Fille de la nuit by Serge Brussolo

Auteur:Serge Brussolo [Brussolo, Serge]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Thriller, non lu
Éditeur: Éditions du Masque
Publié: 1996-01-01T00:00:00+00:00

16

Sarah avait écouté les confidences de la jeune femme sans prononcer un mot. Elle était partagée entre deux sentiments : une certaine fascination pour cette fille qui semblait avoir vécu dans l’intimité des praticiens de la mort violente, et l’angoisse d’avoir introduit chez elle un personnage qui lui faisait horreur. Elle était maintenant persuadée que Crook se trompait. Jane n’inventait pas. Les souvenirs que le médecin avait crus effacés à jamais remontaient à la surface. Jane avait été une tueuse connaissant tous les arcanes de son métier. Une exécutrice formée par un vieil homme qu’elle surnommait le Cactus (à moins que ce sobriquet ne fût en réalité un nom de code ?). Sarah commençait même à se demander si elle n’avait pas sous-traité des liquidations pour la C.I.A. ou un organisme analogue. Elle avait la sensation désagréable d’avoir ouvert la porte à un serpent venimeux dont les réflexes ne demandaient qu’à se réveiller.

— Je sais ce que vous pensez, dit tout à coup Jane. Je vous dégoûte, c’est ça ? Mais j’ai droit à une deuxième chance. Je voudrais profiter de mon amnésie pour repartir de zéro, pour recommencer.

— C’est pour cette raison que vous ne teniez pas à récupérer vos souvenirs, observa Sarah. Plus ou moins consciemment vous saviez qu’ils étaient encombrants.

— Sans doute. Mais pour le moment ce ne sont encore que des images extérieures à moi. Je ne m’y sens pas impliquée. Pas davantage que si je regardais un film à la télévision.

— Il faut en parler à Crook, dit Sarah. Lui expliquer qu’il se trompe. Vous n’êtes pas une mythomane, mais bel et bien quelqu’un qu’on cherche à liquider. Vos anciens employeurs tiennent peut-être à ne laisser aucun témoin derrière eux.

Jane haussa les épaules. Elle avait les traits tirés et des cernes sous les yeux.

Sarah prit contact avec Nigel Crook. Il ne pouvait pas se déplacer et demanda aux deux femmes de passer le voir à sa sortie de l’hôpital. Rendez-vous fut pris dans un café français, à Downtown.

Sarah réalisa qu’elle n’avait plus qu’une idée en tête : éloigner Jane de David. Celui-ci, qui par l’entremise du circuit de surveillance vidéo avait assisté à l’entretien, ne cessait d’appeler pour supplier sa mère de faire descendre leur « cliente » à la cave. Sarah avait décidé de faire la sourde oreille.

— Je ne réclame pas grand-chose, murmura soudain Jane d’une voix lasse. Je veux qu’on m’oublie. Aujourd’hui je serais incapable de faire toutes les choses dont je me souviens. Je suis devenue quelqu’un d’autre. L’accident m’a privée d’une partie de ma personnalité… de mon agressivité, ou de mon indifférence, je ne sais pas, mais il y a un ressort cassé en moi. Le ressort qui me permettait de tuer. Vous comprenez ce que j’essaye de vous dire ?

— Oui, fit Sarah, mais je ne suis pas spécialiste des maladies mentales.

— Vous ne pensez pas que cette balle m’a en quelque sorte lobotomisée ? demanda la jeune femme les yeux brillant d’un espoir absurde. J’ai lu dans une revue médicale que la lobotomie ôtait au patient ses tendances agressives.

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